La Loi de finances pour l’exercice 2026 a introduit, à travers son article 23 bis, un dispositif inédit visant les entreprises non résidentes du secteur numérique disposant d’une présence économique significative au Cameroun.
Cette réforme s’inscrit dans une dynamique internationale d’adaptation du droit fiscal aux mutations de l’économie numérique. Elle appelle toutefois une lecture nuancée, tenant compte à la fois de son ambition juridique, de sa portée réelle, et de ses limites économiques dans le contexte camerounais.
1. Une évolution du fondement de l’imposition : au-delà de l’établissement stable
Le droit fiscal camerounais, à l’instar des standards classiques, fonde l’imposition à l’impôt sur les sociétés sur l’existence d’un établissement stable.
L’article 23 bis de la Loi de finances 2026 marque une évolution importante en consacrant le critère de la présence économique significative, permettant à l’État camerounais de revendiquer un droit d’imposition sur la valeur économique créée à partir de son marché, indépendamment de toute implantation matérielle.
2. Les entreprises potentiellement concernées par le dispositif
Le texte vise les entreprises :
- exerçant des activités relevant du secteur numérique ;
- non résidentes au Cameroun ;
- réalisant des opérations génératrices de chiffre d’affaires à partir du territoire camerounais ;
- susceptibles d’être regardées comme disposant d’une présence économique significative.
À ce titre, et à titre purement illustratif, certaines grandes plateformes internationales telles que META, TikTok ou YouTube pourraient, sur le plan juridique, entrer dans le champ d’application du dispositif, sous réserve de l’appréciation concrète des critères à venir.
3. La notion clé de présence économique significative : une appréciation encore attendue
La présence économique significative constitue le cœur du mécanisme instauré par l’article 23 bis.
Elle suppose l’existence d’une substance économique réelle, traduisant une participation durable et significative à l’économie camerounaise.
Toutefois, dans le contexte actuel :
- le marché de la publicité numérique au Cameroun demeure relativement limité ;
- les budgets publicitaires locaux restent faibles ;
- les revenus publicitaires effectivement générés par certaines plateformes internationales sur le territoire camerounais peuvent être marginaux.
Ainsi, la simple accessibilité d’un service numérique depuis le Cameroun ou l’existence d’une audience locale ne suffisent pas, en elles-mêmes, à caractériser une présence économique significative.
4. Une interrogation légitime : une anticipation normative ?
L’introduction de l’article 23 bis soulève une interrogation juridique légitime :
le législateur n’a-t-il pas anticipé avant que le marché numérique local n’atteigne un niveau de maturité suffisant ?
En effet, le principe d’imposition est posé alors même que :
- les critères précis de la présence économique significative restent à définir ;
- la capacité contributive réelle de certains acteurs numériques sur le marché camerounais demeure limitée à ce stade.
Cette approche traduit néanmoins une volonté stratégique d’anticipation et de structuration du cadre fiscal.
5. Les obligations fiscales instituées par l’article 23 bis
Les entreprises entrant dans le champ du dispositif sont tenues de :
- auto-liquider l’impôt sur les sociétés dû ;
- procéder à une télé-déclaration ;
- déposer une déclaration mensuelle du chiffre d’affaires brut réalisé au Cameroun ;
- effectuer le paiement de l’impôt correspondant au plus tard le 15 du mois suivant.
Le recours au chiffre d’affaires brut comme assiette vise à simplifier le contrôle fiscal et à limiter les possibilités d’optimisation.
6. Exemple illustratif
Une plateforme numérique étrangère propose des services et diffuse de la publicité accessibles depuis le Cameroun, sans disposer d’implantation physique locale.
Si :
- les campagnes publicitaires sont ciblées spécifiquement vers des utilisateurs situés au Cameroun ;
- les annonceurs rémunèrent la plateforme pour atteindre cette audience ;
- et que le chiffre d’affaires ainsi généré devient économiquement significatif,
alors cette entreprise pourrait être regardée comme disposant d’une présence économique significative au Cameroun, au sens de l’article 23 bis de la Loi de finances 2026.
À l’inverse, si les revenus liés au marché camerounais demeurent faibles ou accessoires, l’assujettissement effectif dépendra des seuils et critères qui seront fixés par voie réglementaire.
7. Un dispositif à portée stratégique et prospective
Au-delà de son rendement fiscal immédiat, l’article 23 bis poursuit plusieurs objectifs :
- affirmer la souveraineté fiscale du Cameroun ;
- anticiper la croissance future de l’économie numérique ;
- aligner le cadre juridique national sur les pratiques internationales ;
- préparer l’administration fiscale à l’évolution des modèles économiques dématérialisés.
L’article 23 bis de la Loi de finances pour l’exercice 2026 constitue une avancée notable en matière de fiscalité du numérique au Cameroun, en posant le principe de l’imposition des entreprises numériques étrangères sur la base de leur présence économique.
Toutefois, la mise en œuvre effective de ce dispositif demeure conditionnée à la publication du texte d’application du Ministre des Finances, appelé à préciser les critères objectifs de la présence économique significative, notamment les seuils de chiffre d’affaires et les modalités de détermination des revenus localisés.
Cette réforme s’inscrit enfin dans un ensemble plus large d’innovations introduites par la Loi de finances 2026, lesquelles traduisent la volonté du législateur d’adapter durablement le système fiscal camerounais aux nouvelles réalités économiques.

